Cobalt : la réforme minière en RD Congo qui affole les lobbies industriels


La RD Congo fournit les deux tiers des exportations mondiales de cobalt. Son président Joseph Kabila s’apprête à promulguer une loi pour taxer fortement cette ressource, indispensable aux fabricants de smartphones et de voitures électriques.

Ce nom ne vous dit peut-être rien, le cobalt a pourtant envahi votre quotidien. Incontournable dans les nouvelles technologies, il s’agit d’un composant essentiel des batteries de smartphones, de tablettes, mais aussi de voitures électriques. Conséquence d’une explosion de la demande, son prix a flambé en un an, de plus de 127 %, pour atteindre mi-février les 82 000 dollars à la bourse des métaux de Londres (LME), son plus haut niveau depuis que le LME a commencé à suivre son évolution en 2010.

Un pays ne compte pas passer à côté des retombées de cette envolée spectaculaire : la République démocratique du Congo, qui a fourni en 2017 les deux tiers des exportations mondiales de Cobalt. Le pays a décidé de réformer son code minier datant de 2012 et jugé trop favorable, selon les autorités, aux capitaux étrangers. La nouvelle mouture adoptée en janvier par le Parlement prévoit l’instauration d’une redevance d’un taux de 10 % sur les « métaux stratégiques ». La liste de ces « métaux stratégiques » sera définie par le Premier ministre, mais pour l’industrie minière il ne fait aucun doute que le cobalt, rare et très demandé, en fera partie. Il était taxé jusque-là à 2 %. Reste au président Joseph Kabila de promulguer ce projet de loi.


Un enfant dans une mine de cobalt.  / SCHALK VAN ZUYDAM/ASSOCIATED PRESS

Le dirigeant entretient le suspense, tandis que les lobbies industriels s’agitent. Dans le pays, la production de cobalt est principalement entre les mains du géant canadien installé en Suisse Glencore (Mutanda mining), et des chinois China Molybdenum (TFM) et CDM. La production congolaise part à 80 % en Chine où une dizaine de raffineurs en assurent la transformation finale.

Selon le rapport annuel sur le marché du cobalt, réalisé par le courtier londonien spécialisé Darton Commodities, « un effort sans précédent de lobbying est attendu de la part du secteur minier pour essayer de faire changer d’avis le président Kabila, afin qu’il ne promulgue pas le code révisé ». En décembre déjà, les multinationales s’étaient inquiétées de ce nouveau code qui allait « affaiblir significativement la confiance des investisseurs », avaient-elles écrit dans une lettre adressée aux présidents de l’Assemblée et du Sénat.

« On a fait suffisamment de concessions », répondait alors un officiel congolais interrogé par l’AFP, sous le couvert de l’anonymat.

« On est dans une situation compliquée où l’on fait passer des messages sans inquiéter les actionnaires », estimait début février un minier, reconnaissant qu’une campagne de lobbying était en cours.

Selon Adama Gaye, spécialiste des relations entre la Chine et l’Afrique, la Chine n’a pas dit son dernier mot. « Même si cette hausse sur le cobalt intervient, il est évident que la Chine saura tirer son épingle du jeu, dans la mesure où elle a su tisser des relations avec des puissances au pouvoir, notamment en RDC », assure le spécialiste.


En République démocratique du Congo, un travailleur s’apprête à s’enfoncer dans un tunnel d’une mine de cobalt pour en tirer le minerai qu’utilise l’industrie de la téléphonie mobile. Des ONG dénoncent l’emploi des «minerais tachés de sang et extraits dans des zones de conflit». -- Photo: Archives Agence France-Presse
La crainte d’une pénurie

Mais si cette réforme inquiète, la perspective d’une pénurie de cobalt effraie encore plus. « Alors qu’un quart de la production mondiale de cobalt est utilisé pour la fabrication des smartphones, la demande pourrait augmenter de plus de 9 300 % d’ici à 2040, dans l’hypothèse où la demande de véhicules autonomes se démocratisait », selon le journal économique Les Échos.

Apple, dépendant de ce minerai, a pris les choses en main et discute actuellement avec des groupes miniers en vue de s’assurer des contrats d’approvisionnement à long terme, de cinq ans au moins, rapporte Bloomberg dans son édition du mercredi 22 février. Jusque-là, le géant à la pomme passait par des intermédiaires. Même stratégie dans le secteur de l’automobile : « Fin septembre 2017, le constructeur automobile Volkswagen aurait demandé aux producteurs de cobalt de lui soumettre des propositions pour être fourni pendant dix ans, à compter de 2019 », selon les Échos.

Reste une problématique majeure : les conditions d’extraction du cobalt. Amnesty International a alerté à de nombreuses reprises sur le travail « dans des conditions épouvantables » d’enfants et d’adultes dans les mines congolaises. Au début de l’année, Apple est devenue la première entreprise à publier les noms de ses fournisseurs. « Près de deux ans plus tard, certaines des entreprises les plus riches et puissantes au monde trouvent encore des excuses pour ne pas enquêter sur leurs chaînes d’approvisionnement », déplore toujours l’ONG dans son dernier rapport.